Le CONDROZ, une entité géographique, reflet de
son passé géologique
(Prof.Dr. Eric Groessens, Géologue européen.
Service géologique de Belgique, 13, rue Jenner – 1000 Bruxelles)
1.- INTRODUCTION et LIMITES GEOGRAPHIQUES
La dénomination “Condroz” comme entité géographique, doit être
extrêmement ancienne. Le Père de la Géologie, J.(B.) J.d’Omalius d’Halloy
(1783-1875) l’utilise couramment. En effet, dans son Essai sur la Géologie
du Nord de la France, publié à Paris en 1809, on peut lire: “Entre l’Ardenne
et la Flandre, il y a une seconde chaîne qui fait, en quelque manière,
l’intermédiaire entre ces deux extrêmes, et dont le sol appartient à la
formation bituminifère. Je la distinguerai par le nom Condros (sic), que
l’usage vulgaire applique à la majeure partie de cette étendue. “
Plus loin, d’Omalius en définit les limites: “ Elle est bordée au Nord-Est
par la ligne de démarcation que j’ai assignée à la Flandre, prise au canton
de Dhuy (actuellement en Commune d’Eghezée), à celui de Rolduc (actuellement
Herzogenrath, au Nord d’Aachen), au Nord par la Campine, prise des environs
de Rolduc, à ceux de Juliers (actuellement Jülich, au N.E.d’Aachen), de là,
on décrit, pour la séparer de l’Ardenne, une ligne dirigée au Sud-Ouest,
passant par les environs d’Eupen, Theux, Durbuy, Rochefort et Givet. On
remonte ensuite au Nord en suivant le cours de la Meuse jusqu’à Namur, et en
prolongeant cette direction jusqu’à l’extrémité du canton de Dhuy” et
explique le choix de la dénomination: “parce qu’elle est appliquée à la
portion la plus considérable (de divers pays), et qu’elle est la plus
ancienne, car César appelait déjà Condrusi un peuple qui paraît avoir habité
cette même contrée.”
Sans rentrer dans les détails, constatons que ces limites ont été modifiées,
et plus loin dans le texte, nous prendrons celles définies dans le nouvel
Atlas de Wallonie publié en 1998, par la Direction générale de l’Aménagement
du Territoire, du Logement et du Patrimoine (DGATLP) du Ministère de la
Région Wallonne, (Planche 10 - Habitat et Ruralité). La plupart des auteurs
arrêtent le Condroz vers l’Est à la Meuse, au-delà commence
l’Entre-Sambre-et-Meuse.
2.- LE RELIEF CONDRUSIEN.
D’Omalius nous dresse la description pittoresque qui suit : “Ce
pays ... est très varié par une foule de collines, et arrosé par une
multitude de petites rivières, de jolis vallons bordés de rochers escarpés,
une surface qui présente des terres labourables, des prairies, de petites
forêts, etc. lui donnent un aspect très pittoresque, mais c’est un sol de
médiocre culture, exceptée la vallée étroite où coule la Meuse : on y trouve
peu de terres véritablement fertiles, dans plusieurs endroits, les rochers
sont à peine recouverts d’une légère couche de terrain meuble.”
Ce qui frappe d’Omalius, c’est le relief, considéré comme un vaste plateau
sillonné par un nombre infini de vallées, qui lorsqu’on les examine avec
attention “appartiennent à deux modifications différentes : les unes, qu’on
pourrait appeler longitudinales, sont droites, larges, peu enfoncées,
bordées de coteaux en pentes douces, et dirigées régulièrement du N-E au
S-O, en faisant sur le parallèle un angle d’environ 35°, ce qui divise toute
la surface en collines longues et étroites.” Il constate que cette structure
qui est en rapport avec la constitution géologique est elle-même “rompue et
déchirée par d’autres vallées beaucoup plus profondes, irrégulières,
tortueuses, dirigées en tout sens, et qui servent ordinairement d’écoulement
aux rivières.”
L’explication de ce relief si particulier, déjà esquissée par divers auteurs
tels que F.L. Cornet, A. Briart, Ch. de la Vallée Poussin, sera
magistralement complétée par Paul Macar (1905-1978) dans ses Principes de
Géomorphologie Normale. Cette oeuvre, que l’auteur avait conçue et rédigée
au cours d’une longue période de captivité dans un camp de prisonniers de
guerre en Allemagne et publiée à Liège en 1946, reste la référence dans le
domaine.
Les roches résistent différemment aux agents de désagrégation, et de ce
fait, présentent souvent en affleurement un aspect caractéristique. Par là,
elles impriment d’ordinaire des caractères particuliers aux régions dont
elles constituent le substratum. J.B.J.d’Omalius l’avait déjà observé. P.
Macar a montré que c’était particulièrement le cas dans le Condroz.
Le Condroz occupe la partie centrale de ce que les géologues ont appelé le
Synclinorium de Dinant et qui est constitué d’une succession de plis qui
font alternativement affleurer des crêtes (des tiges) de grès, psammites et
phanites séparées par des dépressions occupées par des calcaires.
Les calcaires sont des roches solubles et l’attaque par les eaux de pluie se
fait surtout à partir des fissures de la roche. Les fentes s’élargissent de
plus en plus, provoquant parfois la chute de tout un pan de rocher, et
laissant entre elles des massifs peu altérés. Ainsi, s’expliquent par
exemple les abruptes falaises calcaires des vallées de Haute-Belgique. Les
grès par contre, dont l’altération donne du sable, montrent généralement des
formes plus arrondies, mais la grande résistance de la silice à l’altération
chimique et la cohérence souvent très grande de la roche font qu’ils
résistent mieux que les roches voisines et forment le relief. P. Macar fait
remarquer que presque toutes les crêtes du Condroz sont situées sur des
roches gréseuses, les dépressions intermédiaires correspondant à des
calcaires.
On notera au passage que si d’Omalius avait reconnu le relief
caractéristique du Condroz, le nivellement des crêtes par l’érosion lui
avait échappé.
Comme l’a également souligné P. Macar, les variations de densité du réseau
hydrographique, qui s’est mis en place au cours du Cénozoïque (ou Tertiaire)
sont en relation avec la nature du substratum. Celui-ci intervient ici par
sa perméabilité, c’est-à-dire par l’aptitude à se laisser traverser par
l’eau.
Le relief, si particulier du Condroz fut comparé, par Macar à celui des
Appalaches : “En Belgique, le Condroz et l’Entre-Sambre-et-Meuse, présentent
un relief appalachien, mais moins bien marqué” .
En 1957, P. de Béthune (1909-1991), professeur à l’Université Catholique de
Louvain, constate que les différences les plus saillantes entre les
Appalaches et le Condroz sont d’abord celles de l’échelle. Les dépressions
calcaires en Condroz sont rarement plus larges que 2 km, tandis qu’en
Pennsylvanie, les lowlands dépassent fréquemment trois fois cette largeur.
La dénivellation entre le sommet des crêtes, connues localement sous le nom
de “tixhes”, est dans les Appalaches de l’ordre de grandeur de 300 à 400 m,
n’atteint que rarement 50 m en Condroz. Une autre différence importante mise
en évidence par P. de Béthune, est le degré de pente des versants d’érosion
différentielle. Ces versants se tiennent, chez nous, en moyenne entre 4° et
8°de pente avec des maxima de 10 à 12°, ce qui contraste avec les versants
correspondants ou “ridges” appalachiennes qui dépassent 20° de pente sur de
grandes hauteurs.
C’est cette différence frappante qui a conduit P. de Béthune à la définition
des versants condrusiens et des versants appalachiens comme étant des
versants d’érosion différentielle ayant respectivement des pentes de l’ordre
de grandeur de 4 à 10° et de 20 à 30°. En 1964, il a été amené à définir le
relief condrusien pour marquer la différence avec le relief appalachien.
3.- HISTOIRE GEOLOGIQUE DU CONDROZ.
Ces processus tels que l’érosion ayant façonné le relief
condrusien, sont comme nous l’avons déjà écrit plus haut des phénomènes
relativement récents.
Remontons maintenant dans ce que l’on appelle l’échelle des temps
géologiques pour raconter l’histoire qui conduit à la formation des roches
qui forment le Condroz.
La répartition des terres et des mers n’a pas toujours été telle que nous la
connaissons actuellement. La théorie de la Dérive des Continents au cours
des Temps géologiques est actuellement largement acceptée et enseignée aux
élèves. L’étude de ces “géographies anciennes” successives est ce que l’on
appelle la paléogéographie et que l’on peut donc définir comme la
reconstitution, en plan, des différents milieux des époques du passé. Cette
étude ne peut évidemment se faire qu’en tenant compte d’une foule de données
patiemment rassemblées par le géologue, y compris les déformations
tectoniques et les mouvements des plaques. La géographie, peut donc être
comparée à un cliché photographique alors que la paléogéographie tend vers
le film par l’intégration des notions de temps et de mouvement.
Déroulons donc rapidement une bobine de cette pellicule qui raconte
l’histoire d’une partie de cette terre qui englobe le Condroz. Pour nous
rafraîchir les idées, rappelons que si la terre existe depuis 5,4 milliards
d’années, la vie n’est apparue dans les océans qu’il y a environ 3 milliards
d’années et que la colonisation du milieu terrestre a débuté vers 370
millions d’années. Les fameux iguanodons de Bernissart fréquentaient les
marais du Hainaut, 130 millions d’années avant que les premiers hommes
n’arpentent les mêmes lieux.
Nous résumerons notre histoire, et la commencerons il y a environ 450
millions d’années, alors que se déroule depuis une centaine de millions
d’années une activité tectonique intense, appelée “calédonienne”, car elle
affecte surtout l’Ecosse (ou Calédonie), et qui se répercute dans nos
régions, par l’individualisation de zones continentales au sein d’océans qui
se ferment et se vident. Il s’en suit la surrection de chaînes montagneuses
et le développement d’un arc volcanique dont les centres d’émission
principaux se situent au sud de Bruxelles (Lessines, Quenast, et au nord de
la Meuse liégeoise (Voroux-Goreux).
Lors d’une de ces phases tectoniques compressives, les massifs “montagneux”
du Brabant, de Givonne, de Rocroi et de Stavelot, vont se former par
surrection et en “creusant” entre-eux de vastes dépressions orientées
globalement Nord-Est vers le Sud-Ouest.
Profitant de ces dépressions, les eaux marines qui occupaient une position
méridionale “l’Océan Rhéïque” vont transgresser et migrer vers le Nord pour
venir battre les rivages du “Continent des Vieux Grès Rouges”(couvrant le N
de l’Angleterre, la Mer du Nord et la Scandinavie) auxquels sont rattachés
nos massifs calédoniens. La progression de la mer s’opère par le biais de
trois pulsations majeures de plus en plus étendues vers le Nord. Ces
pulsations vont laisser des traces dans les sédiments arrachés au continent
et déposés au fond de la mer. Les pionniers de la géologie vont étudier ces
sédiments, les reconnaître et sur cette base, ils vont subdiviser les temps
géologiques en étages. La Belgique sera une des régions de prédilection où
cette échelle des temps géologiques sera établie et qui sert depuis comme
référence au niveau mondial. C’est la raison pour laquelle des subdivisions
des temps géologiques portent des noms rappelant des lieux de chez nous:
Frasnien; Famennien, Dinantien, Tournaisien, Viséen, Namurien etc...
Suite à la première grande pulsation, la mer “va traverser” notre actuelle
frontière franco-belge à Gedinne, il y a 417 millions d’années et le
géologue André Dumon (1848), va choisir cet évènement comme base de son
nouvel étage Gedinnien, correspondant à la base du système Dévonien.
La mer va poursuivre sa transgression en deux temps, interrompue par une
brève régression. Cinq millions d’années plus tard, c’est-à-dire, à la fin
du Gedinnien, elle occupera la plus grande partie du Condroz et de l’Ardenne
et poursuivra sa route vers l’Eifel et plus loin. Les noms d’étage de la
deuxième (Siegenien) et de la troisième (Emsien) subdivisions du Dévonien
seront d’ailleurs choisies en Allemagne.
A l’Emsien, le rivage de la mer recule nettement. C’est ce que les géologues
appellent une régression.
Pour marquer l’importance de cet évènement qui signifie la fin d’un premier
cycle, les géologues ont établi une subdivision plus importante,
c’est-à-dire la limite entre le Dévonien inférieur et moyen. Cette limite
est datée de 391 millions d’années et marque le début d’une nouvelle
transgression plus radicale. La mer va franchir le “seuil du Condroz” et
envahir ce que l’on appellera le Synclinorium de Namur. Le Dévonien moyen a
été subdivisé en deux étages : le Couvinien à la base et le Givétien au
sommet. La mer va progressivement s’approfondir et les faciès terrigènes
(poudingues, grès, schistes) vont céder la place à des faciès
schisto-calcaires et même à des calcaires récifaux. Le Givétien est dominé
par une sédimentation nettement calcaire dans laquelle les apports
terrigènes ont pratiquement disparu, ce qui indique que le Continent des
Vieux Grès Rouges est aplani. A la limite Dévonien moyen et supérieur ,
c’est-à-dire il y a 370 millions d’années, le bord de mer se situe sur le
Massif du Brabant, le long d’une ligne qui va du Nord de Mouscron à
Chaudfontaine, en passant entre Nivelles et Soignies. La tranchée creusée
pour le Plan incliné de Ronquière, permet de voir une coupe dans cette
ancienne plage. La Calestienne représente le rivage méridional de cette mer.
Signalons au passage, que pour une série de raisons qu’il serait hors de
propos et trop long de développer ici, les noms de certains étages ont été
modifiés par des commissions internationales, ainsi le Gedinnien et le
Siegenien sont devenus le Lochkovien et le Praguien, tandis que le Couvinien
a disparu au profit de l’Eifelien.
Au Dévonien supérieur, la phase transgressive entamée au Couvinien atteint
son extension maximale au Frasnien (364 M.A.). La mer couvre alors la
totalité du Massif du Brabant et envahit le Bassin de Campine. A cette
époque, à Miguasha (Québec, Canada) un poisson va pour la première fois se
risquer sur la terre ferme et indiquer le chemin de la conquête des
continents. Chez nous, le climat chaud va contribuer à créer les conditions
idéales à l’édification de récifs de coraux dans cette mer tropicale.
Certains de ces récifs vont se transformer en de ces magnifiques marbres
rouges qui décoreront, la Galerie des Glaces de Versailles, la Salle des
reliques de Mahomet au Palais de Topkapi à Istanbul, exemples parmi tant
d’autres. A l’abri de ces récifs vont se déposer des calcaires foncés qui
sont actuellement transformés, à Golzinnes, dans les plus beaux marbres
noirs du monde. Cependant, les mouvements tectoniques ne sont jamais très
loin. En écho de ce que l’on appelle la “phase bretonne”, le Massif du
Brabant va se soulever provoquant la régression de la mer au Famennien et le
retour d’une sédimentation terrigène, représentée par des sables qui se
cimenteront pour devenir des grès et des psammites. Ce sont les “Grès
famenneniens” ou “Psammites du Condroz, qui sont responsables des crêtes du
Condroz. Ces grès sont actuellement exploités comme concassés dans de
nombreuses carrières du Condroz et comme moellons de Grès durs à Arbre,
Yvoir et à Bois d’Anthines. Une variété décalcifiée a reçu le nom de Pierre
d’Avoine.
Cette régression est généralisée et sera suivie par une nouvelle
transgression dont la base marque le passage entre les systèmes Dévonien et
Carbonifère. Cet évènement est daté de 354 millions d’années et peut être
visualisé dans une série d’affleurements dans le Condroz. Les coupes
géologiques du Sentier des Vignes à Hastière ou du Pont-rail d’Anseremme ont
acquis à cet égard une renommée internationale.
Le Carbonifère belge est divisé en trois unités bien distinctes, le
Dinantien à la base, le Namurien et le Westphalien. Seules, les deux
premières unités sont présentes dans le Condroz. Le Dinantien est
caractérisé par une sédimentation carbonatée, c’est pour cette raison qu’il
est souvent appelé “Calcaire carbonifère”. Le Namurien comprend des dépôts
terrigènes principalement d’origine marine, tandis qu’au Westphalien
s’accumulent des sédiments lagunaires renfermant de nombreuses veines de
Houille, interrompus par de brèves incursions marines. Par contraste avec le
Calcaire carbonifère, ces unités supérieures sont souvent dénommées
“Houiller”dans nos contrées.
La sédimentation essentiellement calcaire et dolomitique du Dinantien
s’explique par une relative stabilité tectonique, qui contraste avec les
faciès terrigènes du Famennien et du Namurien.
Le Dinantien est lui-même subdivisé en deux séries : le Tournaisien à la
base, le Viséen au sommet.
Ces deux étages sont représentés dans le Condroz où ils forment les
dépressions entre les crêtes de grès. Le Tournaisien est lui-même subdivisé
en étages correspondants pour la plupart à des cycles transgressifs
importants. Ces cycles sont caractérisés par une succession lithologique qui
débute par des schistes où des calcschistes qui passent à des calcaires
crinoïdiques (ou encrinites) pour terminer par un calcaire fin à concrétions
siliceuses appelées “cherts” (voir le Rocher Bayard à Dinant).
Les calcaires crinoïdiques sont bien connus, c’est eux qui fournissent la
presque totalité de la Pierre bleue et plus particulièrement celle vendue
sous le nom de “Petit granit”. Comme ce matériau existe dans les trois
cycles du Tournaisien, il y a des variétés différentes. Actuellement deux
d’entre-elles sont toujours commercialisées : le Petit granit du Bocq,
exploité par la société Dapsens à Yvoir et par la Carrière des Nutons à
Spontin et puis, il y a surtout le Petit granit, exploité actuellement dans
les vallées de l’Ourthe et de l’Amblève, ainsi qu’à Les Avins et à Dorinne.
La limite Tournaisien-Viséen ( 342 M.A.) est encadrée, entre autre, dans la
région de Marche-les-Dames par une dolomie (un calcaire magnésien) exploitée
à des fins industrielles et livrée dans le monde entier. Cette même dolomie,
et les calcaires qui y sont associés constituent dans le Synclinorium de
Namur une métallotecte pour le plomb et le zinc, exploitée anciennement à
Vedrin et dans le Massif de la Vesdre (L. Dejonghe, 1985)
Dans les régions de Dinant et de Denée, la base du Viséen est formée d’un
calcaire noir qui fut exploité avec succès comme Marbre noir de Dinant
pendant des siècles et jusque dans l’immédiate après guerre .(E. Groessens,
1997). Ce marbre noir, à l’instar du Noir belge, exploité à Golzinne, s’est
également déposé à l’abri de récifs appelés “Waulsortiens”. Ces complexes
récifaux ont également permis l’exploitation de quelques variétés de marbres
ayant des particularités décoratives : le Jaune Oriental (Fraire) et le
Marbre de Maurenne (Hastière) sont des calcaires crinoïdiques jaunâtres, le
Marbre Léopold (Ermeton-sur-Biert) était plutôt d’un gris-fleuri et le Rose
de Gérin se définit par lui-même. Tous ces marbres n’ont eu qu’une existence
brève et confidentielle (E. Groessens, 1981).
Le Viséen est presque entièrement constitué de calcaires, qui sont exploités
en divers points du Condroz en fonction de leurs caractéristiques propres.
Ainsi, le Calcaire dit de Neffe et le Calcaire de Seilles sont surtout
recherchés pour leur très grande pureté chimique. Ils sont exploités,
entre-autre pour la chaux en divers endroits du Condroz et comme pierre
ornementale à Vinalmont. Le Calcaire de Lives s’est déposé lors d’une
période marquée par une extension des faciès rythmiques zoogènes à la base,
phytogènes au sommet. Ce calcaire a été exploité depuis les Romains comme
matériau de construction et comme roche ornementale. Des autels romains
dédiés à la déesse Nehalennia, et sculptés dans ce matériau, ont été
repêchés au large de la Zélande (F. Anderson & E. Groessens 1996), il en est
de même de l’encadrement de la splendide mosaïque de Vichten au Grand.-Duché
de Luxembourg. Ce matériau était renommé à travers les siècles, sous le nom
de Pierre de Meuse (E. Groessens, 1986), et sa disparition du marché n’est
due qu’à la concurrence du Petit granit, qui est une roche de qualité plus
homogène. Au sein de cette formation, des niveaux particuliers ont livré le
Marbre noir de Namur et le marbre gris appelé Drap funéraire. Les dallages
en damiers réalisés dans ces matériaux pavent encore nombre d’églises en
Europe.
Parmi les marbres du Viséen, il convient de faire une place à part pour les
marbres dénommés Brêche de Waulsort ou Marbre Herculanum et Bleu Belge dont
l’origine est liée à la présence de masse importante d’évaporites et à la
tectonique hercynienne dont nous reparlerons. Ces marbres sont surtout
connus à l’étranger, en particulier la Brêche rouge de Waulsort (E.
Groessens, 1981), qui intervient, entre autre, dans le dallage de la
Basilique Saint Pierre à Rome et dans la décoration du Château de
Versailles. Ce marbre fût exploité à Onhaye et à Fontaine-l’Evêque. Le
marbre Bleu Belge, qui est un calcaire noir, à reflet parfois bleuâtre et
sillonné par de nombreuses veines blanches, a été exploité jusque vers 1960
à Anhée et Warnant.(E. Groessens, 1987).
Ce matériau pondéreux, de même que le Marbre noir de Dinant, bénéficiait de
la proximité de la Meuse pour le transport. Il y aurait encore beaucoup de
choses à écrire à propos de ces calcaires, entre autre, signaler toutes les
exploitations pour concassés, mais je m’attarderai plutôt sur des matériaux
meubles qui ont rempli il y a une vingtaine de millions d’années, les poches
de dissolution formées dans les calcaires. Ce sont des sables kaolineux,
encore exploités à Oret, et dans d’autres villages de
l’Entre-Sambre-et-Meuse, et les argiles dites d’Andenne qui servirent à la
fabrication de briques de four, de cornues et de creusets ainsi qu’à divers
produits de faiencerie. Les pipes en terre et les statuettes de saints en
porcelaine d’Andenne font de nos jours les délices des chineurs.
La fin de la sédimentation carbonatée (327 M.A.) est liée aux mouvements
tectoniques de la phase sudète de la grande orogénèse hercynienne qui
provoquent l’émersion de l’Europe moyenne. Le Namurien débute avec l’arrivée
de sédiments terrigènes dans la mer. Cela se concrétise par les dépôts de
schistes noirs, d’ampélites (schistes pyriteux exploités jadis, entre Huy et
Flémalle, pour la fabrication de l’alun) et de phtanites (schistes siliceux
utilisés dans le passé comme pierre de touche).
Les phtanites forment dans le Condroz, une crête qui s’étend de Maillien à
Gesves et que les routiers connaissent bien car elle constitue la longue
montée d’Assesse dans la direction de Luxembourg.
L’instabilité tectonique va s’accentuer au cours du Namurien, dont le sommet
va se caractériser par les dépôts de grès (les Grès d’Andenne) et des
premiers niveaux charbonneux exploitables qui témoignent du caractère
localement continental de cette période.
Le Westphalien qui suit, est l’étage sur lequel s’est construite, grâce aux
mines de charbon, la prospérité économique de la Région wallonne. Bien
qu’important, ce chapitre, qui nécessite à lui tout seul un gros livre, nous
écarte de notre sujet et du Condroz en particulier. Cependant, les
mouvements tectoniques ne se sont pas arrêtés, bien au contraire, ils
reprennent de plus belle. Ils auront comme conséquence l’édification d’une
chaîne de montagne de près de 3.000 Km de long sur 700 Km de large, la
chaîne hercynienne dont les vestiges affleurent du Portugal à la Bohème, en
passant par l’Ardenne et les Vosges. La propagation de l’onde de plissement
de la phase asturienne de cette orogénèse hercynienne, qui se déroule aux
alentours de 300 M.A., est diachronique et s’effectue vers le Nord. Ce front
d’onde de déformation est arrêté par le Massif du Brabant, mais la
translation vers le Nord du Synclinorium de Dinant et de tout le massif
ardennais provoque le plissement des couches dévono-carbonifères du Condroz
qui étaient restées dans leur position horizontale de sédimentation. Ce
Charriage du Condroz est limité au Nord par une cassure majeure qui traverse
une grande partie de l’Europe occidentale et qui est connue chez nous comme
Faille du Midi dans le Hainaut et sous le nom de Faille Eifelienne en région
liégeoise.
4.- LE CONDROZ DEPUIS LA FIN DE L’ERE PRIMAIRE
La couverture post-varisque est relativement peu importante
dans la région concernée. Les reliefs établis par l’orogénèse varisque sont
soumis à l’érosion et une phase continentale se développe, probablement dès
la fin du Westphalien jusqu’au Crétacé.
Au cours du Trias, la mer régnait sur l’Allemagne du Nord, le Sillon
Eifelien, le Grand-Duché de Luxembourg et la Lorraine, avec un rivage
occidental orienté à peu près parallèlement à la frontière
belgo-luxembourgeoise. Cette mer transgresse progressivement le socle
ardennais, plus rapidement au Sud de sorte qu’au Rhétien (2O9 M.A.) et au
Jurassique inférieur, c’est l’ensemble du Bassin de Paris qui sera submergé.
Les terrains du Trias et du Jurassique belge sont actuellement confiné à la
Gaume. Les sédiments les plus jeunes de cette région sont datés du Bajocien
(170 M.A.)
La transgression crétacée, considérée comme la plus importante de tous les
temps, débute chez nous à l’Albien (100 M.A). Après une courte régression,
la mer cénomano-turonienne s’étale jusque sur le Brabant Sud et recouvre la
partie occidentale du Bloc Ardennais. Il est probable que la zone haute
précédemment citée ait été recouverte au moins partiellement par la mer
campanienne (83-71 M.A.) mais, dans ce cas , l’épaisseur des dépôts devait
être très faible puisque dès le début de l’Eocène, le Paléozoïque du Brabant
est émergé pour fournir en partie le matériau détritique du Landénien ( F.
Robaszynski et C. Dupuis, 1983). Si l’on peut raisonnablement penser qu’une
partie du Condroz a été recouverte par la mer du Crétacé, la surface de
cette région est actuellement dépourvue de dépôts crétacés.
Les sédiments tertiaires du Sud du pays constitués de sables, graviers et
argiles avec amas ligniteux se sont déposés principalement en milieu
continental. Ils se trouvent souvent dans des fentes ou des poches de
dissolution. A Vinalmont, dans une de ces poches, datée de la base du
Tertiaire, des restes de mammifères et de reptiles ont été découverts et
étudié respectivement par Pierre Teilhard de Chardin lors de sa thèse de
doctorat (1922) et par M.C. Groessens-Van Dyck ( 1982).
La mer nordique revient encore dans la partie Sud du pays à l’Oligocène et
recouvre une partie du Condroz, (entre 33-23 M.A). Des sédiments marins peu
profonds, témoignant d’un environnement côtier sont connus depuis le N-E du
pays jusqu’à Assesse-Ciney (S. Geerts, 1984).
C’est la dernière incursion marine sur le territoire de l’actuelle Wallonie.
Depuis ce moment, l’altération et les différentes formes d’érosion font leur
oeuvre pour modeler le Condroz que nous connaissons aujourd’hui.
5.- CONCLUSIONS
La forme, si particulière du relief du Condroz, qui a conduit à
la création de la notion de “relief condrusien” prend ses racines dans le
substratum géologique ancien. Les grès qui se sont sédimentés au Famennien
et auxquels ont succédé les calcaires du Dinantien, ont été plissés lors de
l’orogénèse hercynienne. La succession d’anticlinaux et de synclinaux, qui
résulte de ce plissement, est orientée N-E au S-O. L’érosion qui a suivi, a
laissé en relief les crêtes de grès et creusé en dépression les niveaux
calcaires. L’occupation des sols et les constructions traditionnelles sont
des corollaires directs de cette géologie.
Eric GROESSENS,
Géologue au Service géologique de Belgique
Chargé de cours à l’Université Catholique de Louvain
Vice-président de la Chambre provinciale du Brabant wallon de la Commission
royale des Monuments, Sites et Fouilles
rue Jenner, 13 - B-1000 Bruxelles
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
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